J. Philip Zindel

L’hypnoanalyse ne représente pas, comme on pourrait être tenté de le croire à première vue, un système thérapeutique avec une unité de doctrine et des techniques standardisées et bien définies – pas plus d’ailleurs que l’hypnose avec ses innombrables théories ou la psychanalyse actuelle, si on pense rien qu’aux divergences entre la théorie classique de la libido, celles de la psychologie du moi, de la théorie des relations objectales ou de la théorie de soi.

Historiquement, l’hypnoanalyse est née d’une idée en soi trés simple: celle de combiner les avantages thérapeutiques de l’hypnose et de la psychanalyse. Cette entreprise n’est cependant pas si simple, car il s’agit ni plus ni moins de recombiner mère et fille, un sacré tour de passe-passe génétique! Surtout que ce type de relation peut être des plus compliqués et des plus ambigus qui soient, comme le prouve bien l’histoire de l’hypnose et de la psychanalyse. Je ne vais pas vous ennuyer à retracer tous les méandres de cette épopée – car le but de ma présentation est bien plus pratique – mais il ne sera pas inutile d’esquisser le cheminement de l’hypnose à la psychanalyse, et de là à l’hypnoanalyse, au risque de vous raconter plus une mythologie qu’une historiographie scientifique.

Histoire

Fasciné et inspiré par l’hypnose, Freud l’abandonne pour diverses raisons: en premier lieu à cause du manque de stabilité de ses résultats thérapeutiques et ensuite à cause des inquiétants problèmes relationnels qu’elle peut engendrer. Il sera le premier à se poser les questions: « Que se passe-t-il au fond dans ce mystérieux inconscient que nous manipulons pendant l’hypnose? » et la question corollaire « De quelle nature est cet étrange « rapport » hypnotique? » ? Ainsi la psychanalyse se voit dès le départ étroitement liée à l’analyse de la relation hypnotique. Le transfert découvert par ce biais devint non plus l’outil d’influence thérapeutique qu’il était en tant que « rapport hypnotique » mais quelque chose à analyser, afin de découvrir dans son miroir magique les reflets du mystérieux inconscient. L’idée était révolutionnaire, car n’oublions pas que l’hypnose de l’époque ne faisait, en quelque sorte, que bombarder de suggestions une « black-box » appelé patient, sans tenter de suivre le fil d’Ariane dans le labyrinthe de l’inconscient. Pour Freud, il s’agissait de comprendre, et surtout de faire comprendre, avec l’espoir que cela amènerait la guérison et en cela il était bien un enfant du positivisme.

L’histoire montra bien vite les limites pratiques de cette vision, et il y eut bon nombre de tentatives de rendre plus efficaces les découvertes de Freud. Les uns visèrent à une analyse encore plus profonde, plus méticuleuse, d’autres s’employèrent à développer de nouveaux concepts psychologiques et métapsychologiques, et d’autres encore rebroussèrent chemin, en quelque sorte, et retournèrent aux sources de l’hypnose pour y puiser de nouvelles inspirations.

Alliance de la psychanalyse et de l’hypnose : les pionniers

Un des premiers parmi eux fut Lewis Wolberg qui publia dès 1945 un livre intitulé « Hypnoanalysis« . Pour lui, l’hypnoanalyse représente avant tout une psychanalyse, qu’il enrichit par des interventions hypnotiques. Il emploie l’hypnose surtout pour remettre en mouvement des phases de stagnation. Nous verrons plus tard un certain nombre de ses techniques hypnoanalytiques.

Plus tard l’hypnoanalyse apparaît avec la marque de John Watkins. Ce professeur de psychologie à Montana avait acquis une grande expérience dans le traitement des névroses de guerre de la Deuxième Guerre Mondiale. Ceci l’amena à étudier de plus près les états dissociatifs, en particulier les personnalités multiples. Son abord de l’hypnoanalyse se distingue de celui de Wolberg avant tout dans une utilisation plus systématique de l’hypnose, dans laquelle les conceptions psychanalytiques servent plus de repères pour travailler avec l’hypnose que de trame de la thérapie.

Erika Fromm, autre célèbre pionnière de l’hypnoanalyse, partant des théories de la psychologie du moi, s’intéressa en particulier à intégrer les concepts d’activité et de passivité du moi dans le travail hypnotique. Plus tard, elle se voua plus particulièrement à l’application de l’hypnoanalyse aux patients gravement perturbés comme les cas limites.

En marge de l’hypnoanalyse, il ne faut pas oublier les mérites de Kubie et Margolin (1944), de Kline (1958) et de Gill et Brenman (1959) qui apportèrent des contributions passionnantes à une théorie psychanalytique de l’hypnose. On leur doit entre autre la vision de l’hypnose en tant que « régression au service du moi » et en tant que « perméabilisation ou diffusion des limites du moi ».

Une chose nous frappe : nous trouvons la quasi totalité des auteurs hypnoanalytiques dans l’après-guerre transatlantique, et le Vieux Monde semble ne guère avoir été touché par ce mouvement. Les raisons en sont d’une part historiques, liées à la fuite devant le nazisme, mais aussi culturelles. Nous avons sans doute plus tendance à nous engager dans des théories profondes et savantes – parfois même aux dépens de la pratique – que les Américains, pour qui l’efficacité prime sur l’esprit de nuance. Cependant, il existe aussi en Europe quelques noms que pouvons rapprocher de l’hypnoanalyse, même si ces auteurs ne se réclament pas eux-mêmes de l’hypnoanalyse. Je pense au kohutien Jacques Palaci et au lacanien défroqué – si j’ose dire – François Roustang, ainsi qu’à deux Allemands, Kretschmer et Langen. Ils ont, chacun à sa manière, jeté des ponts entre l’hypnose et la psychanalyse.

Définition

Devant cette diversité, voire ces divergences entre les visions de l’hypnoanalyse, comment encore définir ce phénomène ? Créer, comme partout ailleurs, des églises, une wolbergienne, une watkinsienne, une frommienne,… et ensuite défendre la nôtre comme la seule légitime? Je préfère prendre position pour une vue plus globale. L’hypnoanalyse sera alors un amalgame complexe de conceptions très variables autant de l’hypnose que de l’analyse, ayant toutes pour dénominateur commun de combiner d’une manière ou d’une autre ces deux éléments.

Partons par exemple du nom « hypnoanalyse » et essayons d’écouter ce qu’il nous suggère. Nous découvrions alors toute une palette d’interprétations possibles, et toutes ont un sens.

Nous trouverons tout d’abord « l’intégration de séances d’hypnose dans le cadre d’une psychothérapie analytique », la version wolbergienne où les séances d’hypnose servent à graisser les rouages d’un traitement psychanalytique.

L’hypnoanalyse pourra aussi être « l’utilisation analytiquement fondée de l’hypnose », c’est-à-dire l’emploie de l’hypnose en tant qu’élément à analyser.

Ou bien nous pourrons lire hypnoanalyse comme étant ‘l’étude d’aspects psychanalytiques dans la pratique hypnothérapeutique », et alors nous pratiquerons en premier lieu une hypnothérapie, que nous soumettrons à une réflexion analytique permanente.

Pour certains, l’hypnoanalyse se résume à un « ensemble de techniques hypnotiques découvrantes » qui seront employées sans ligne directrice inspirée de la psychanalyse.

On pourra aussi parler d’hypnoanalyse si le thérapeute sème par-ci par-là des interprétations analytiques, en quelque sorte en parallèles à l’hypnothérapie, ce qui permettra de parler alors d’une « intégration d’interprétations analytiques dans une hypnothérapie ».

Hypno

En considérant le terme « hypno » comme équivalent du mot « transe« , aujourd’hui souvent utilisé comme synonyme « d’état hypnotique », « l’hypno-analyse » devient l’analyse des états de transe ou des états de conscience. Ceci signifie que nous chercherons comme les psychanalystes à comprendre les sous-jacents psychodynamiques, mais non pas en partant des contenus sémantiques des rêves et des récits du patient, mais à partir des états de conscience spécifiques liés à chaque vécu.

Finalement, plutôt pour l’anecdote, le terme d’hypnoanalyse représente, pour un groupement d’hypnotiseurs américains, les régressions dans des états antérieurs à la naissance.

Il n’est pas étonnant, étant donnée cette variété de vues, que soit apparu un certain nombre d’autres noms pour les diverses formes d’hypnoanalyse: « Hypnose analytique ». (Palaci 1992), « Hypnothérapie psychodynamique » ou « Psychothérapie d’orientation hypnodynamique » (Brown and Fromm 1986).

L’hypnoanalyse se distingue du travail psychanalytique classique par l’utilisation méthodique des phénomènes de transe, tels que la focalisation de l’attention ou la logique de transe, cette forme « d’illogisme logique » que nous connaissons du rêve et qui existe d’une manière parfaitement similaire en hypnose.

Du travail ericksonien, elle se distingue d’abord par l’introduction d’interprétations analytiques, puis dans le fait que le déroulement d’une séance d’hypnose fera l’objet d’une analyse sous un angle psychodynamique, et que l’hypnoanalyste oriente ses stratégies d’après des considérations psychodynamiques et moins d’après des critères pragmatiques.

Bien sûr, ces démarcations sont finalement floues. Rappelons seulement, par exemple, que l’association libre est impensable sans une certaine forme de transe légère.

Théorie

Pour mieux comprendre le rôle que peut prendre l’hypnose dans le travail hypnoanalytique, permettez-moi quelques remarques théoriques concernant l’hypnose.

La proximité abstinente

Par sa nature même, l’induction hypnotique est un moyen d’établir une forme de proximité, d’intimité, qui est d’une intensité et d’une qualité toute particulière, et telle qu’on ne la retrouve sans cela dans aucune relation humaine. Elle ressemble le plus à la relation symbiotique entre mère et enfant ou peut-être encore, comme le soulignait déjà Freud, à certains états amoureux. Seulement l’hypnose s’en distingue en plusieurs points importants : par la visée thérapeutique, donc asymétrique de la relation; par une abstinence beaucoup plus stricte pour le thérapeute que pour une mère ou un amant, par la limitation de la durée de cette symbiose et par la possibilité de donner à l’état de conscience une orientation voulue.

Cette proximité n’est ni projetée au sens névrotique du terme (il ne s’agit donc pas d’un transfert au sens strict du terme) mais elle est belle et bien réelle et mutuelle. La capacité de réaliser une telle proximité symbiotique représente au fond un des buts essentiels de toute thérapie, et de ce fait elle n’est pas tributaire d’une analyse destinée à remettre les choses en place. Bien au contraire, nous pouvons voir dans le transfert – positif ou négatif – une forme de résistance contre cette intimité. Par conséquent, nous pourrons utiliser les aléas du parcours pour parvenir jusqu’à l’hypnose pour en faire l’objet d’un travail analytique extrêmement fertile.

De plus, cette relation de proximité abstinente assure au patient un abri thérapeutique qui permet d’utiliser au mieux les potentiels de restructuration inhérents à l’état de transe.

Hypnose en deux phases

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler, dans le contexte de l’hypnoanalyse, une observation de grande importance faite par Roustang (1995) et d’autres auteurs, qui distinguent deux phases de l’hypnose : la phase d’induction, et l’état hypnotique.

Pendant la première, les interactions tant sur le plan conscient que sur le plan inconscient – donc transfert, contre transfert, résistance etc – jouent un rôle déterminant pour arriver ou non à l’état hypnotique. En d’autres termes, l’art de l’induction consiste à maitriser – parfois à contourner – à court terme les résistances contre la proximité symbiotique thérapeutique.

Pendant la deuxième phase, dans la transe hypnotique, les choses se passent un peu comme dans le rêve, en quelque sorte à huis clos. Le vécu est entièrement axé sur les perceptions et les images du monde intérieur. Roustang parle par conséquent – en se référant bien sûr aux phases paradoxales du sommeil – de « veille paradoxale ». Dans cette vielle paradoxale, le patient vit la relation au thérapeute – ou si vous préférez le rapport hypnotique – d’une manière totalement différente que dans l’état de veille ou pendant l’induction. Le thérapeute est devenu en tant qu’objet relationnel, presque totalement superflu. Il se réduit à une simple présence à peine perçue. Vouloir parler de transfert dans cette situation est un peu hasardeux.

Suggestion

Finalement, rappelons que, depuis Bernheim, la notion de « suggestion » a évolué d’une manière radicale, surtout à la lumière des travaux d’Erickson. Elle n’est plus cette idée thérapeutique administrée de manière directive et en contournant le contrôle volontaire anesthésié par l’hypnose, en quelque sorte un suppositoire psychologique. Il s’ agit bien plus d’informations suggérées, c’est-à-dire proposées, à la motivation et qui vont produire une réaction qui ne correspondra pas nécessairement au contenu sémantique de la suggestion, mais aux ressources et aux structures de l’inconscient du patient. Par exemple, une suggestion de lévitation pourra provoquer une réponse de lourdeur du bras. Il serait naïf d’y voir simplement une résistance. La lourdeur est une réaction parfaitement adéquate, à condition que le thérapeute ne se laisse pas aveugler par un faux sentiment de frustration et qu’il s’intéresse au véritable message de cette réponse. La suggestion prendra donc un caractère plus exploratoire que directif, ce qui nous permet de la définir comme une « question opérante adressée à l’inconscient ».

Les points caractéristiques de l’hypnoanalyse

Résumons en dix points les caractéristiques du travail hypnoanalytique :

1. Le thérapeute soumet l’état de la relation hypnotique à une réflexion continue selon des critères psychodynamiques (transfert-contretransfert, résistance, défense etc.) et introduit le patient prudemment dans ses réflexions.

2. La transe est utilisée de manière méthodique autant comme instrument thérapeutique qu’en tant qu’objet de l’analyse dans le cadre d’un concept global psychodynamique. Les modulations des états de conscience tant pendant l’induction que pendant la transe elle-même, ainsi que le contexte de leur apparition font l’objet d’un travail d’orientation psychanalytique.

3. Le contenu sémantique du travail hypnoanalytique, des rêves hypnotiques, des régressions en âge etc., est lui aussi analysé selon les points de vue de la psychologie des profondeurs.

4. En hypnoanalyse, le travail d’interprétation rationnelle destiné à faire comprendre au patient la nature de ses conflits inconscients, ainsi que le travail d’interprétation sur la résistance passent au second plan derrière la prise de conscience émotionnelle – ou « expérientielle » comme disent les Américains – rendue possible par l’hypnose.

5. La relation de proximité symbiotique de l’hypnose lui confère aussi un caractère réparateur, par le fait qu’elle soutient les facteurs qui renforcent le moi et qui sont inhérents à la transe. Ceux-ci sont par exemple: la capacité d’observer son propre monde intérieur en état d’attention librement flottante, la tolérance aux inconsistances logiques du vécu intérieur, ou si vous préférez, à l’égard du monde de pensée associatif du processus primaire, ou l’aptitude au dialogue avec des suggestions sur le plan de l’inconscient.

6. Un des rôles les plus importants de l’hypnose en hypnoanalyse réside dans la possibilité massivement accrue de focaliser l’attention sur un sujet ou une image donnée. Ceci permet de ne pas s’attarder sur des détours inutiles dus à des obstacles relativement superficiels et sans grande importance thérapeutique. Par exemple l’oubli d’un rêve au courant de la journée ne signifie pas forcément une résistance digne d’être analysée. Dans ce cas, une hypnose parviendra souvent à rappeler le rêve à la mémoire d’une manière aisée.

7. L’hypnoanalyse introduit l’hypnose et la suggestion avant tout à des fins exploratoires, ce qui n’exclut pas qu’elles puissent aussi être appliquées, dans des conditions précises, à des fins d’aide, stratégiques, ou avec le but de mobiliser des ressources intérieures d’une manière non spécifique. Cependant ces dernières approches resteront subordonnées à la vision analytique, en ce sens qu’après avoir été mises en oeuvre, elles feront « post festum » l’objet d’un travail analytique.

8. L’utilisation de l’hypnose – en particulier du rêve hypnotique – peut contribuer de manière essentielle à la symbolisation des vécus intérieurs. La possibilité, en hypnose, d’approcher beaucoup plus directement les affects préverbaux, et le fait que le rêve hypnotique permette de façonner des images qui expriment et apprivoisent ces affects, en fait une voie royale pour le travail avec les patients gravement perturbés.

9. La partie longue et ardue du travail dans une psychanalyse, ce que Freud résumait dans l’élégante formule « souvenir, répéter, perlaborer« , le travail infatigable sur la résistance et le transfert se voient, en hypnoanalyse, largement simplifié et raccourci – d’après Brown et Fromm 1986 même de deux tiers – ceci grâce à des facteurs inhérents à l’hypnose tels que l’hypermnésie ou la focalisation de l’attention.

10. L’écoute empathique prend la même place fondamentale dans l’hypnoanalyse que dans les traitements psychanalytiques classiques. Seulement ce précieux instrument de perception se voit amplifié par les possibilités de l’hypnose, en particulier par la transe parallèle du thérapeute qui lui permet d’entrer en résonance avec la transe du patient.